dimanche 1 mars 2009

Gran Torino, l'éternel Eastwood

Il y a une semaine précisément, je soulignais la forte émotion qui m’avait animé à la découverte de L’étrange histoire de Benjamin Button, appuyant la sensation que les très grands films américains s’étaient faits rares sur grand écran ces derniers mois, et que la fable monumentale de Fincher comblait enfin le vide passé.


Eh bien voilà, il n’aura pas fallu une semaine pour que mon cœur s’emballe devant une seconde pépite yankee. Encore un film de studio, mais dirigé par un véritable auteur maître de son film, cette fois Clint Eastwood (qui pourtant, comme Fincher, n’a pas signé le scénario de son long-métrage).


Il n’est nul besoin de présenter le cinéaste américain, tant il est une figure mythique de l’imaginaire hollywoodien. Tout juste faut-il souligner à quel point Eastwood affiche un parcours sans pareil dans l’histoire du cinéma hollywoodien, par sa durée bien sûr mais aussi et surtout par l’ évolution de sa carrière, et sa capacité à se bonifier toujours plus avec le temps. A chaque nouveau film, on se surprend à constater à quel point le réalisateur est encore une fois capable de sortir une grande oeuvre de son chapeau, alors que les précédents semblaient déjà être le point d’orgue de son travail de cinéaste.


Trois mois après L’échange, remarquable polar classique sur le Los Angeles des années 30, Eastwood revient donc déjà avec Gran Torino. Tourné vite, dans le secret, l’été dernier, sans que personne sache vraiment ce que Clint mijotait dans son coin, la réponse nous arrive à la vision du film : il a concocté un film qui comptera parmi ses meilleurs, un film affirmant s’il en était besoin que Eastwood est probablement, aujourd’hui, le plus grand cinéaste américain en activité.


Gran Torino m’a énormément fait penser à Million Dollar Baby, qui déjà avait été tourné vite, était sorti sans prévenir, et avait énormément ému. C’était également la dernière apparition en date d’Eastwood devant la caméra, jusqu’à ce Gran Torino. Dans ce nouveau film, Eastwood interprète Walt Kowalski, septuagénaire tout juste veuf, vivant dans un quartier populaire de Detroit. Pendant que le jeune prêtre de sa paroisse tient absolument à le voir se confesser, Walt voit d’un mauvais œil son quartier être « envahi » par une communauté Hmong, lui ce vétéran de la Guerre de Corée arborant le drapeau américain sur son porche.


Si Gran Torino est un grand film, c’est parce que Eastwood n’a pas peur de forcer les traits. Les traits réactionnaires et racistes de son héros, qui peste, jure et insulte ces nouveaux voisins asiatiques en long en large et en travers, des traits qui sont si audacieusement forcés qu’ils deviennent des élément de comédie parfaitement assumés mettant en lumière le ridicule du comportement. J’ai ri devant Gran Torino presque autant qu’à une pure comédie.


Eastwood, cet homme républicain aux penchants conservateurs, s’est constamment affiché comme un cinéaste ouvert aux thématiques et idées bien éloignées de celles des valeurs républicaines, particulièrement ces quinze dernières années. Il dessine son personnage avec un recul délicieux, et lui offre une richesse qui se découvre au fil du film.


Jamais Walt ne se dépare de son langage outrancier, pourtant l’évolution du personnage est permanente, une remise en question constante qui le rend plus qu’attachant. C’est un roc, bien sûr puisqu’il s’agit d’Eastwood, mais un roc aux failles sinueuses, étonnantes, profondes, réfléchies.


On aurait pu s’attendre, à la vue de l’affiche, ou de la bande annonce, à ce que ce Gran Torino soit une simple histoire de vieux réac qui décide de faire le ménage des gangs dans son quartier. Or il n’en est rien. Si Gran Torino est bien une histoire simple, elle n’en est pas moins riche et réflective, non pas sur « Comment se débarrasser des gangs du quartier », mais sur la découverte de l’autre, de l’étranger, sur les amitiés improbables, sur la difficulté de se sentir proche de ceux qu’on appelle les siens alors que l’on découvre dans une communauté différente de la nôtre une proximité insoupçonnée.


Comme dans Million dollar Baby, Eastwood reprend le thème du mentor, mais aussi celui du mauvais père, et bien sûr la foi catholique est toujours là, en toile de fond. La proximité des deux films est évidente, jusque dans leur capacité à nous frapper émotionnellement. Bien que parcouru d’humour, Gran Torino est un film gardant le deuil et l’ombre à portée de caméra. La puissance du dénouement du film laisse pantois, et les allusions métaphoriques sur sa carrière, aussi bien d’acteur que de réalisateur, sont saisissantes.


Cinéaste posé, sûr de lui, expérimenté, Clint Eastwood a fait de son style classique, où chaque réplique, chaque plan, chaque geste a une place essentielle dans le film, un art que personne ne maîtrise avec autant de dextérité. Son talent est tellement monstre qu’on lui pardonne le jeu trop forcé du jeune comédien Hmong interprétant Thao.


Si j’ai eu du mal à accepter qu’un film comme Benjamin Button se fasse battre aux Oscars par Slumdog Millionaire, il me semble tout aussi aberrant que Gran Torino, ce grand petit film de Clint Eastwood, n’ait même pas récolté une seule nomination. Dans dix ans, les membres de l’Académie se retourneront et se demanderont ce qui avait bien pu leur passer par la tête cette année-là, en 2009.

11 commentaires:

Michael a dit…

J'ai vu le même film que toi ;-)

David Tredler a dit…

Mais dis moi, on partage donc le même point de vue sur mes 3 films préférés de 2009 pour le moment ?
Button, Gran Torino et The Chaser ?
C'est historique, c'est pas possible ça va pas durer lol

Michael a dit…

Euh non ! Tu remplaces The Chaser par Slumdog pour moi ;-)

David Tredler a dit…

Oui, non, je ne disais pas que mes 3 films préférés étaient le mêmes que les tiens, mais juste que ceux que je considère comme les 3 meilleurs films de 2009 sont également placés haut dans ton estime, sans être forcément tes meilleurs. C'est déjà fort comme ça =)

Michael a dit…

Ah oui, dans ce cas là, effectivement ;-)
Par contre, je dois confirmer que ça risque bien de ne pas durer... J'en ai bien peur ;-)

David Tredler a dit…

Oui, les dissensions vont bien finir par pointer le bout de leur nez.. et en même temps si c'était pas le cas ça serait pas drôle lol

Malgré cela... je crois que Harvey Milk pourrait être une occasion de + de se trouver d'accord ;-)

Tu0r a dit…

Super film!! Mon préféré d'Eastwood!!
Je t'ai piqué une phrase de ta critique pour la mettre sur mon cyworld, j'espère que tu ne m'en veux pas, j'ai cité ma source ^^.

David Tredler a dit…

Ca me fait plaisir, emprunte ;-)
Quelle phrase tu as prise ? lol

Pierre a dit…

J'ai pris celle-ci:

Si Gran Torino est bien une histoire simple, elle n’en est pas moins riche et réflective, non pas sur « Comment se débarrasser des gangs du quartier », mais sur la découverte de l’autre, de l’étranger, sur les amitiés improbables, sur la difficulté de se sentir proche de ceux qu’on appelle les siens alors que l’on découvre dans une communauté différente de la nôtre une proximité insoupçonnée.

Qui à mon sens résume tout le film en gros ^^.

David Tredler a dit…

On est d'accord^^

Anonyme a dit…

Bonjour,
Est-ce qu'il serait possible de contacter le gestionnaire du blog ? Nous voudrions lui proposer un petit projet concernant la cinéma.
Merci d'avance de l'attention porté à mon message.
Aurélie
aurelie@betklub.com

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