lundi 11 juillet 2011

J'ai rencontré le Diable. C'est lui. C'est vous. C'est moi.

Il y a eu l’attente. Quelques mois, presque un an avant de voir arriver le nouveau film de Kim Jee-Woon, cet insaisissable cinéaste sud-coréen un peu rapidement déprécié à l’ombre des Bong Joon-Ho et Park Chan-Wook. L’homme est un touche-à-tout et c’est peut-être ce qu’on lui reproche, de passer de la comédie sociale de The Foul King au fantastique familial de Deux Sœurs, du noir stylisée de A bittersweet life au western déjanté de Le bon, la brute et le cinglé. L’homme est difficile à mettre dans une case, mais aussi à inscrire dans un sillon cinématographique puissant.

L’attente a duré, au fil d’une polémique en Corée qui a failli empêcher la sortie du film, qui s’est finalement faite sans la grande effusion que l’on aurait pu attendre. Les mois ont passé, l’année s’est écoulée, et J’ai rencontré le Diable est enfin visible sur nos écrans, quelques uns, même pas quinze sur tout le territoire. Après l’attente, la rencontre a donc pu se faire. La rencontre du titre mais aussi celle du spectateur que nous sommes avec une œuvre brutale, sanglante, dévastatrice, une œuvre ne laissant pas celui qui la regarde impassible.

On a parlé et l’on parlera de la violence du film de Kim Jee-Woon. Les scènes de torture, l’acharnement, la douleur infligée, les membres sectionnés. Le risque de ce genre de film, c’est de se faire taxer de gratuité dans sa représentation graphique. De n’être qu’un déchainement futile et poseur de violence ne cherchant pas à gratter assez loin ce que celle-ci peut représenter. Un écran de fumée cachant le néant. Derrière la fumée de J’ai rencontré le Diable (merci à ARP d’avoir choisi un titre français plutôt que se contenter du titre anglais international comme c’est trop souvent le cas lorsqu’il s’agit de cinéma coréen), j’ai pourtant aperçu bien trop de choses pour me contenter d’y constater une quelconque gratuité.

Choi Min-Sik, le fameux interprète du Oldboy de Park Chan-Wook, incarne Kyung-Chul, un tueur en série particulièrement violent envers ses victimes, des jeunes femmes attrapées la nuit tombée alors qu’elles sont seules. Sa dernière victime en date est la fille d’un chef de la police, et surtout la fiancée de Soo-hyun, un agent secret entraîné à l'espionnage et au combat (interprété par Lee Byung-Hun). Ce dernier n’a pas l’intention d’attendre que la police fasse son boulot et part lui-même sur les traces de Kyung- Chul, décidé à venger sa fiancée en faisant souffrir son tueur au centuple. Le film devient un jeu du chat et de la souris entre le fiancé vengeur et le tueur froid. Il ne s’agit pas simplement pour Soohyun de trouver et tuer Kyung-Chul. Il l’attrape, le torture un peu, et le relâche pour mieux le rattraper plus tard, et le faire souffrir encore plus. Sa croisade est celle d’un homme mu par le désespoir, c’est le cri de douleur d’un homme à qui l’on a arraché la vie. Il chasse pour ne pas avoir à affronter son deuil. Il inflige la douleur pour ne pas avoir à affronter la sienne. Il prolonge la violence car elle est ce qui le relie encore à sa défunte fiancée. S’il arrête de courir, s’il arrête de frapper, il se retrouvera face à sa perte.

Il n’est pas question pour Soo-hyun de se transformer lui-même en monstre comme ceux après qui il court. Il parvient un temps à entretenir sa flamme d’humanité, à sauver la veuve et l’orphelin sur le chemin de sa vengeance. Mais son adversaire le force à repousser toujours plus loin ses limites. Kyung-chul le tueur a beau avoir des traits de caractère de bouffon qui confine parfois au rire (pour désamorcer ou parodier ?), il est d’une froideur et d’une cruauté qui n’a pas de limite. Or pour atteindre le tueur, le fiancé veut le faire souffrir comme lui a souffert, ce qui va le pousser à une cruauté similaire à celle de celui qui a fracassé son existence. A devenir lui aussi ce Diable.

Il y a un Diable en chacun de nous est ce que semble dire naturellement Kim Jee-Woon avec J’ai rencontré le Diable. Une scène hallucinante dans un taxi illustre ce propos à merveille. Mais derrière cet écran de fumée qui ne souffre d’aucune ambigüité, le désespoir, l’amertume et l’abandon se révèlent à l’état brut. Elle offre son visage humain au film, sa vérité profonde. L’arrogance de la violence est poussée à son paroxysme pour la rendre dérangée et dérangeante. La route est longue, plus de deux heures, mais foisonnante, floutant avec audace les lignes de la morale, jouant avec la bonne conscience, et bouillonnant au final d’une force implacable. Et s’il était temps de réévaluer Kim Jee-Woon ?

14 commentaires:

Ben a dit…

Je n'ai pas adhérer au film, qui est un faible film coréen pour moi au milieu de tous ces grands films... Mon avis est un peu marginal mais je suis convaincu de sa faiblesse par rapport aux perles de Bong Joon Ho etc.

I.D. a dit…

Je te le réévalue tout de suite : surfait. :)

Sinon, ce film divise pas mal pour trainer ici et là. J'émets un peu plus de réserve. D'une, le film est trop long pour ce qu'il nous montre. De deux, le scénario mouais bof. Ca manque d'idée tout ça si ce n'est cette vengeance qui dure. De trois, la réal' ? Encore un film sans personnalité parce que c'est ça KJW. Y a-t-il un style KJW ? Je ne pense pas. Et ce n'est pas une question qu'il change souvent de genre ou non. C'est un bon artisan certes mais il y en a tellement des cinéastes de cet acabit notamment en Corée du Sud. Alors pourquoi lui plus qu'un autre ? Ça reste un mystère.

Si on se penche un tant soit peu sur sa mise en scène : les scènes dramatiques sont supers lourdes, les scènes d'action sont trop hachées, c'est illisible. Le reste ne convainc pas vraiment. Après tout du long, c'est la même. Les scènes se répètent inlassablement sans véritable originalité (encore la faute d'un scénario sans saveur) ce qui pourrait en ennuyer plus d'un (moi ça été, j'ai surpassé ça^^). Je n'oublierai pas des "scènes de remplissages", franchement pas nécessaire (la durée, toujours). La violence... elle ne m'a pas posé plus de problème que ça. Je ne la perçois pas comme "gratuite" mais je peux comprendre ceux qui le pensent. On est quand même jamais bien loin d'un voyeurisme malsain. KJW aurait du plus la suggérer (parfois) mais c'est lui le réal' et je ne refais pas le film à sa place. Ce qui me dérange aussi mais là c'est encore avec plus de recul c'est la façon qu'il justifie la vengeance. C'est léger. Il ne va pas assez dans son propos d'où un sentiment de gratuité. Je pense que KJW n'a à aucun moment eu une once de réflexion sur le thème de la vengeance, de la nature même d'un criminel, etc... en réalisant sans doute un film bien trop réac'. Je le pense comme ça sans même être réellement convaincu, disons que j'ai ce sentiment là. Il aurait été à un autre degré, je ne serais sans doute pas aussi sévère à son encontre.

David Tredler a dit…

@Ben, Bong Joon-Ho est intouchable, en haut de sa montagne de talent irrévérencieux. Bien sûr Kim Jee-Woon n'est pas Bong ;)

@ID : Comment peux-tu dire que Kim Jee-Woon est surfait cher ami puisque justement, il est unanimement considéré comme un faiseur et non comme un grand cinéaste. Justement il n'a pas de considération autre que celui d'un réalisateur de films calibrés, et d'où justement ma question ;)

Quant au fait que "ça manque d'idée sauf cette vengeance qui dure", bah oui mais c'est le coeur du film justement, c'est ce qui lui donne sa personnalité. C'est ce qui le démarque du vigilante tout venant. C'est autour de cela que le caractère du film s'articule, cette rythmique inlassable du chasseur qui relâche sa proie pour mieux la rattraper et la faire souffrir.

Thomas Grascoeur a dit…

Même la bande annonce m'avait rebuté...

David Tredler a dit…

C'est sûr que si même la bande annonce te rebute...

I.D. a dit…

Bah écoute si de ton point de vue KJW est perçu par le plus grand nombre comme un "faiseur" sache que de mon côté ce n'est justement pas le cas. Nous ne devons pas lire la même presse alors parce que ceux que je lis (notamment avec des films comme 2 Soeurs et Bittersweet life) ont tendance à le mettre sur une place très très haute... ils le voient comme un "vrai cinéaste"... du coup... je pige plus trop et c'est en cela que je dis qu'il est surfait. Il est surfait sur l'ensemble de sa filmographie. Quant à ce film-ci, je pense que certains qui le voyaient comme un cinéaste "virtuose" dans la façon de renouveler les genres justement vont prendre un certain recul.

Sinon, je ne remets pas en cause le coeur même du film cette "vengeance qui dure" puisque c'est ce que j'ai apprécié et souligné dans mon billet sur MIA, il n'empêche que ça manque tout de même d'inventivité et d'idée. Tom & Jerry c'est vieux comme le cinéma donc là, si tu veux... mouais. Alors ça ne me dérange pas mais il peut aussi surprendre s'il compte joué là-dessus. Le principe était intéressant mais qu'est-ce que c'est mal exploité ! Encore plus si c'est pour en arrivée à cette scène finale plutôt pitoyable. Fallait franchement pas se prendre la tête durant deux heures, un court-métrage aurait été tout aussi bien. Il aurait eu le mérite d'être expéditif comme sa réflexion sur les thèmes qu'il embrasse de très loin. C'est bien, il nous a fait son caca nerveux avant de rejoindre Schwarzy et faire son film hollywoodien.

Nyal a dit…

!!! petit spoiler !!!

@I.D. je te cite car il y'a des choses très drôles pour ceux qui ont vu le film. Je ne sais pas si c'est fait exprès : "franchement pas se prendre la tête", "sont trop hachées" :) (parler de tête avec la scène de fin c'est grandiose :D

En ce qui concerne le film, j'ai eu un peu de mal. On arrive dans mes limites. La différence avec ce film, ce n'est qu'on est jamais surpris, on voit les scènes venir. Il n'use pas d'ellipse pour surprendre. Il empile les scènes en ne laissant pas le spectateur se reposer. Vers la fin, on pense qu'il va y avoir un twist avec un personnage. Bah non, le personnage est mort (au milieu de la voie publique). Aller hop fait, on passe la suite :)

David Tredler a dit…

Raaaa, mais ID, moi justement j'adore la fin du film ! Bon bah c'est un de ces films où on ne s'entendra pas franchement... On n'est plus à un près, n'est-ce pas ? ;) Caca nerveux, pff, j'te jure... ;)

Oui Nyal, c'est un comique qui aime jouer sur les mots le ID... (en fait non je pense que c'est un hasard, héhé)

I.D. a dit…

Autant ça m'arrive de calculer ce genre de chose lorsque j'écris des commentaires ici et là autant là, je dois bien l'avouer, ce n'est carrément pas fait exprès. :) Bien joué Nyal ! ^^

Effectivement David, un film de plus à ajouter à cette trop longue liste de nos désaccords cinématographiques. ^^

David Tredler a dit…

Mais c'est très bien qu'elle soit longue cette liste de désaccords. Ca alimente les débats ;)

selenie a dit…

Kim Jee-Woon est dans le top 3 des plus grands réalisateurs sud-coréens et il le prouve une fois de plus. Un véritable uppercut qui nous mène dans les méandres de la folie et de la monstruosité. Direct et réaliste le film n'oublie pas pour autant le fond. Un des meilleurs films de l'année. 3/4

Martin a dit…

Une amie à moi aurait voulu le voir, mais pas moyen que ce soit distribué chez nous, dans notre cambrousse qui n'en est pourtant pas exactement une. Moi, je pense que j'aurais fait l'impasse: pas l'envie de voir un truc trop violent en ce moment.

Cela dit, je vais filer l'adresse de ton blog à ma cop's.

David Tredler a dit…

C'est ^sur que si tu ne veux pas de violence, ce n'est peut-être pas le film approprié... quoi qu'un bon film est toujours un bon film ;)
Mais file l'adresse à ta cop's, avec plaisir ^_^

I.D. a dit…

> "dans le top 3 des plus grands réalisateurs sud-coréens"

Mouarf. Le genre de phrase qui me fait bien rire. Moi-même qui en ai vu pas mal des films sud-coréen, j'aurai bien du mal à donner un top 3 des réal' sud-coréens (en activité, hein). Y a beaucoup mieux à découvrir par là-bas que ce fade KJW.

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