mercredi 13 juin 2012

Bernie mangeait des canaris, maintenant il embaume les morts


Le titre de ce billet est des plus étranges, mais jusqu’à il y a quelques jours, lorsqu’on me parlait de Bernie, l’image qui se formait immédiatement dans mon esprit consistait en Albert Dupontel menaçant de mâcher un petit oiseau. Son film est l’un des souvenirs cinématographiques forts de mon adolescence, mais vendredi dernier, j’ai découvert un autre Bernie au Champs-Élysées Film Festival. Après la débâcle de « Not waving but drowning » deux jours plus tôt, je me suis orienté vers une valeur sûre du cinéma indépendant américain, Richard Linklater. Si ce dernier est surtout connu en France pour son diptyque « Before Sunrise » / « Before Sunset » avec Julie Delpy et Ethan Hawke, deux œuvres très européennes de nature, Linklater est Texan, et son cinéma est souvent associé au fameux État américain, du précurseur « Slackers » à l’hypnotique « A scanner darkly ».

Le Bernie de Richard Linklater est en ce moment même à l’affiche aux États-Unis, où il est sorti assez discrètement fin avril dans une combinaison de salles réduite. Accompagné de critiques élogieuses, il connaît une belle carrière art & essai, et c’est sans doute une des raisons pour lesquelles Bernie était le film qui m’interpelait le plus dans la programmation du Champs-Élysées Film Festival. Alors je n’ai pas hésité à lâcher le billet de 10 euros pour l’occasion en allant le voir dans un Gaumont. Ca faisait un bail que je n’avais pas payé plein pot pour voir un film, et cela faisait au moins aussi longtemps que je n’avais pas mis les pieds au Gaumont Ambassade. Je crois que mon dernier souvenir dans ce ciné du bas des Champs-Élysées remonte au film d’animation « Le Prince d’Égypte ». C’était quand, Noël 1998 ? Oui ça remonte.

En tout cas je n’étais pas seul à avoir répondu à l’appel de Richard Linklater, et confirmant le succès du festival, la salle n’était pas loin d’être pleine. Il faut dire que comme tout film indé qui se respecte, Bernie n’est pas garanti de sortir en salles en France, alors au cas où, mieux valait ne pas rater l’une des trois projections du film au CEFF. Surtout qu’en jetant un coup d’œil dans le rétro, on constate vite que tous les films de Linklater ne sont effectivement pas sortis en France, et il n’est pas besoin de remonter jusqu’à Slackers, car celui qu’il avait réalisé avant Bernie, « Me and Orson Welles », malgré Zac Efron en tête d’affiche et un sujet potentiellement enclin à séduire les cinéphiles français, attend toujours de sortir chez nous (mais n’attendez pas, c’est trop tard maintenant).

Cependant après avoir vu Bernie, il ne fait aucun doute dans mon esprit qu’il y a dans la comédie réunissant Jack Black, Matthew McConaughey et Shirley MacLaine de quoi réjouir les français regardant d’un œil méfiant cet État Texan que l’on associe encore naturellement à George W. Bush. De Texas il est certes question dans Bernie, du Texas et des texans, mais ces texans-là seraient plutôt du genre à nous réconcilier avec eux (si tant est qu’il en était besoin, bien sûr...).

Le récit prend place à Carthage, une bourgade du nord-est du Texas tout ce qu’il y a de plus tranquille. Le dénommé Bernie y a longtemps été assistant funéraire, et l’homme le plus apprécié de la ville, toujours serviable, toujours dévoué, toujours prêt à aider son prochain… même Marjorie Nugent, cette vieille veuve pleine aux as que personne à Carthage n’a jamais pu supporter, pas même sa propre famille. L’histoire qui nous est contée est celle de Bernie, et du drame qui a défrayé la chronique à Carthage.

Bernie, raconté tel quel, de façon directe, pourrait n’être qu’une gentille histoire entre le drame et la comédie, un peu banale, un peu déjà vue, pas franchement excitante. Pourtant Richard Linklater, en s’emparant de cette histoire vraie ayant pris place dans les années 90, a trouvé un moyen de la rendre dynamique, surprenante, et souvent irrésistible : il la raconte comme si son film était un documentaire, ou plutôt un docu-fiction. Car ce sont les habitants de Carthage qui narrent le film, à travers des interviews témoignages où chacun y va de son anecdote, de son opinion et de son point de vue tranchant exprimé avec un aplomb accentué par cet accent traînant du sud des États-Unis. Ce sont ces interventions qui rythment le récit, et plus on en découvre, plus on se demande s’il s’agit là d’acteurs ou des véritables témoins de l’affaire s’étant nouée dans les années 90. Il est certain que plusieurs d’entre eux sont des comédiens, à commencer par Matthew McConaughey, qui sous les traits du procureur de Carthage méfiant et texan pur-jus déploie une palette comique à laquelle il est difficile de résister. Mais d’autres pourraient très bien être des personnes ayant véritablement côtoyé Bernie et Marjorie Nugent.

Toujours est-il que lorsque ces témoignages se font plus rares pendant 20 ou 25 minutes du film, ce dernier perd en rythme, se traîne un peu et quelques bâillements sont à deux doigts de se faire sentir… jusqu’à ce que les habitants de Carthage réapparaissent à l’écran et ressortent leur langage texan bien fleuri pour nous raconter cette histoire avec mordant. La vérité, c’est que je n’ai découvert qu’il s’agissait d’une histoire vraie qu’à la fin du film, lorsque Richard Linklater fait apparaître à l’écran le véritable Bernie. C’est peut-être pour ça que son film m’a tant plu. Je pensais deviner que ce serait une petite comédie indé bien mise, alors que s’est révélé un récit trublion plein de surprise et haut en couleurs. Et les surprises, ça n’a pas de prix. Oui, après la déception du premier jour, le Champs-Élysées Film Festival s’est bien repris. Et si les rires entendus dont la salle sont un bon indicateur, je ne suis pas le seul à le  penser. Vous verrez que grâce à Richard Linklater, on entendra bientôt des « Vive le Texas ! » clamés en France. Avec le sourire.

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