mardi 30 avril 2013

"What Richard did", ou l'art de dénicher les films discrets


Écrire un billet sur chaque film que je vois m’a toujours semblé impossible sur ce blog, du moins cela n’a-t-il jamais été son but. Parce que je vois suffisamment de films pour qu’une telle perspective induise un enchaînement perpétuel d’avis succincts, et je n’ai jamais souhaité que mon blog ressemble à cela (quitte à ce que l’on me reproche en toute amitié de rarement parler des films que je vois). Et puis de temps à autre, mes explorations des salles obscures parisiennes me mettent face à un film dont je ressens non seulement l’envie, mais également le devoir de parler. Parce qu’à l’évidence, certains films ont besoin d’être défendus par le plus grand nombre de voix pour ne pas passer inaperçus.


Avant le mercredi de sa sortie, je n’avais pas la moindre idée de ce qu’était « What Richard did » de Lenny Abrahamson. Ce mercredi-là, j’ai aperçu de bonnes critiques du film et me suis penché sur son cas. Tiens, un film irlandais. Je me suis tourné vers un ami cinéphile de la région pour lui demander ce que le film valait, sur quoi il m’a appris que le long-métrage était l’adaptation d’un roman écrit par un vieil ami à lui. Tiens donc. Allez, la connexion irlandaise me plaisait bien, direction le Lincoln avec l’œil vierge, sans même savoir de quoi il retournait dans le film. Cela fait du bien de découvrir un film sans avoir vu la bande-annonce ou lu le synopsis, parfois.

Le cinéma anglo-saxon indépendant est souvent social, donc peut-être m’attendais-je un peu à cela, un soupçon qui à la vue du film fut très vite mis de côté. Le Richard du titre est un adolescent de 18 ans, ami protecteur, fils dévoué, joueur de rugby émérite, élève sérieux, charismatique et populaire. S’il était humainement possible de frôler la perfection, Richard serait l’un de ces spécimens rares. Une perfection si nette qu’elle ne peut forcément que se fissurer. Trop beau pour être vrai ce Richard, il ne peut être promis à une éternelle perfection - comme le titre l’indique. Un évènement va fissurer le caractère de Richard, avant d’ébranler son monde et celui de son entourage.

La perfection aperçue n’était là que pour être écornée, et l’être humain remarquable de se trouver bousculé au plus profond de son être. Cette fissure s’agrandissant à vue d’œil  vient nous mettre face à nos propres défauts et cauchemars. Le film tisse le fil d’un caractère admirable pour nous plonger dans les abîmes du personnage, et ainsi explorer ses doutes face à ses erreurs, rendre palpables ses inévitables réflexions. Le choix de coller au plus près de Richard nous plonge dans sa peau au risque d’étouffer. Mais cette mise en scène sobre et posée, cette musique douce et enivrante qui accompagne le film offrent des bouffées d’air qui rendent le film aérien malgré tout.

Richard est à la fois un rêve et un cauchemar. Celui que l’on pourrait de prime abord aspirer à être, et celui dont on ne voudrait pas suivre le chemin, comme un paradoxe douloureux. « What Richard did » laisse intelligemment planer le doute au moment où l’on quitte Richard, cette âme charitable que les fêlures ont précipité dans l’effroyable. A l’heure où vous lirez ces lignes, le film de Lenny Abrahamson sera certainement encore moins visible qu’au moment de sa sortie. Mais cela ne signifie pas qu’il faille abandonner l’idée de le voir.

jeudi 11 avril 2013

C'est grave, docteur ?


Un jour il faudra que je consulte un psy pour savoir à quoi est dû mon amour profond pour les salles obscures, ou que je demande à ma mère si elle m’emmenait en douce dans les salles de ciné quand j’étais encore bébé et si pour ne pas se faire repérer elle m’aurait inculqué tôt les bonnes manières d’un tel lieu. Je le sais, qu’aux yeux de certains, je suis un peu bizarre dès que je mets les pieds dans un cinéma. Oh en-dehors je suis un ange, sage, réfléchi, diplomate, un parfait gentleman. Bon, je reste tout cela une fois que je suis assis dans mon fauteuil les yeux rivés sur le grand écran, mais disons que ma patience autrement légendaire est… comment dire… fortement diminuée. Et aux yeux de beaucoup, cela fait de moi un spectateur chiant, probablement, même si à mes yeux, les chieurs, ce sont les autres.


Plus le temps passe, et plus le comportement des uns et des autres dans une salle obscure m’obsède. Cela vient-il seulement de moi, ou le comportement général des spectateurs de cinéma a-t-il évolué vers cet égocentrisme carabiné qui semble être inévitable. Je ne peux pas reprocher aux américains d’avoir créé ces salles où les mineurs sont interdits, car souvent une salle sans ados est une salle paisible, mais mes griefs réguliers en salle ne se limitent pas aux adolescents.

Le weekend dernier je suis allé voir « Effets Secondaires », le séduisant thriller aux accents hitchcockiens de Steven Soderbergh. Derrière moi, jouant avec ma patience pendant la première partie du film, deux copines dont l’adolescence s’était évaporée depuis nombre d’années. Papotant pendant les pubs - ça, cela ne me pose pas de problème - mais le film commençant, logos de boîtes de prod puis plan d’ouverture, les piaillements continuent. Un coup d’œil par-dessus l’épaule, mais les premiers dialogues à l’écran les calment… un temps, car les piaillements reprennent, parce que les copines voulaient absolument partager leurs commentaires sur le film à mesure que celui-ci se déroulait sous leurs yeux.

Cela, malheureusement, c’est un classique. C’est fou, mais il faut rappeler aux gens qu’une salle de cinéma, ce n’est pas un salon. Que les spectateurs alentour, ce ne sont pas des potes qui aiment entendre leurs commentaires. Qu’un fauteuil, ce n’est pas un repose-pied. J’ai l’habitude de me retourner et de faire comprendre aux autres qu’ils gênent. Et la plupart du temps, les gens se sentent un peu honteux d’avoir été rappelés à l’ordre et se calment, au moins un temps. Mais les deux pies d’ « Effets secondaires » ne se sont pas senties honteuses. Quand je me suis retourné pour leur balancer mon regard le plus noir ayant déjà fait se tapir de honte des dizaines de spectateurs parisiens au fil des ans, celles-ci m’ont regardé, se sont tues, et une fois que je me suis retourné vers le film, je les ai entendues dire « Bah il se retourne lui ? », comme si je les dérangeais. Je me suis de nouveau tourné vers elle, agacé au plus haut point, les yeux en feu et des serpents jaillissant d’entre mes dents aiguisées, pour leur cracher « Bah oui il se retourne lui ! ». Connasses, dites-le si je vous emmerde en plus.

Bon, d’accord parfois j’exagère. Je n’aurais peut-être pas dû faire la gueule à mes amis parce qu’ils m’avaient attendu à la caisse au lieu d’aller faire la queue devant la salle. Bon et puis quand mon pote Eric est entré dans la salle l’autre soir pour « G.I. Joe 2 », tout juste en retard alors que le logo de la Paramount était à l’écran, j’aurais pu être plus aimable que ce « Qu’est-ce que t’as foutu ??!! » agressif. Après tout ce n’était que « G.I. Joe 2 ». Oui, bon, et il faut que j’arrête de stresser dans la file d’attente en me demandant si je vais avoir ma place préférée dans la salle s’il y a trop de monde, et il faudrait peut-être aussi que je stresse moins lorsque que quelqu’un s’assoie juste devant ma copine et lui bouche une partie du bas de l’écran, me poussant à lui demander 17 fois avant que le film commence si elle veut qu’on échange nos places alors qu’elle me répond 17 fois que ça ne la gêne pas, ELLE (mais sérieusement, comment cela peut-il ne pas la gêner ???).

Je me souviens m’être demandé après avoir vu il y a quelques années ce documentaire sur les cinémaniaques new-yorkais si un jour, je finirais comme l’un d’eux. Est-ce que mon tic de vérifier plusieurs fois que mon téléphone est bien éteint disparaîtra un jour ? Parviendrai-je encore longtemps à me retenir de crier dans la salle avant que le film commence « Tout le monde éteint son portable ! ». Quand je pense que certains exploitants ou distributeurs commencent à envisager d’encourager les gens à tweeter pendant les films pour ne pas braquer les jeunes et les encourager à ne pas snober la salle de cinéma. Rien que d’y penser, je fais une crise d’angoisse, comment peut-on être exploitant de salle et envisager une telle chose…
Bon allez il vaut mieux que je me taise je vais finir par passer aux yeux de certains pour un taré… (mais toi, oui toi, là, tu sais de quoi je parle, hein ?)

lundi 1 avril 2013

J'en étais où ?

Poser la plume pour souffler n’est jamais une grande idée. On se dit que l’on va ralentir l’écriture, et au final, le ralentissement ressemble de l’extérieur à une panne. J’ai laissé filer les semaines sans martyriser mon clavier pour différentes raisons, mais je n’ai jamais voulu totalement déserter cet impossible blog ciné, alors il serait grand temps que je ré-insuffle ici un peu de vie qui commence à sérieusement manquer.

Depuis ce jour de février où j’ai pour la dernière fois publié un billet, n’allez pas croire que je suis resté les bras croisés. Des films, j’en ai vus. Des lignes, j’en ai noircies. Mais je ne suis jamais allé au bout de ces billets commencés. Des films qui m’ont inspiré, j’en ai vus. Des spectateurs qui m’ont agacé, j’en ai croisés. Des séances mémorables, j’en ai vécu. Diable, que vais-je faire, vais-je toutes les reprendre une à une ces anecdotes que j’ai manqué de vous raconter ? Vais les crier un à un ces coups de cœur qui ont été les miens ? 

Que n’ai-je pris le temps de vous relater ce vieux couple bourgeois assis comme moi à l’Arlequin pour découvrir « Dans la brume » de Sergei Loznitsa, avec madame annonçant à monsieur avant que le film ne commence « Tu vas encore dormir toi, je te connais, un film russe de plus de deux heures, tu vas dormir », et monsieur ne pouvant qu’avouer à demi-mot que oui, c’était bien possible, me poussant à m’éloigner d’eux pour éviter les possibles ronflements (il ne ronfla finalement pas, semble-t-il). Ou cette petite vieille à la même séance s’adressant à un trentenaire assis à deux fauteuils d’elle « Dites-moi, vous comptez l’éteindre pendant le film au moins votre téléphone ?! », ajoutant - à ma grande joie - après une timide et inaudible réponse de l’affiché, « Ils font chier avec leurs portables... ». Bien dit mamie.

Que n’ai-je pris le temps de vous décrire cet épisode avec l’homme qui rit dans l’enceinte de l’UGC Ciné Cité Les Halles, alors que je me dirigeais vers « 7 psychopathes » et que lui se prélassait dans un fauteuil du hall, attendant sa séance. En le voyant je me demandai illico s’il serait avec moi pour le film de Martin McDonagh, au moment où un employé d’UGC passant par-là, celui qui rit comme une hyène chercha à attirer son attention par un « Hep ! Hep ! HEP !! » de plus en plus fort, jusqu’à ce que l’homme le remarque et s’approche de lui pour le saluer cordialement (ils doivent tous plus ou moins le connaître, aux Halles). J’entendis alors la hyène énoncer tout heureux « J’suis bien là, je vais voir Max en salle 14, j’ai mon fauteuil pour attendre, et mon jus d’orange ». A ces mots  je jetai un œil sur la table devant lui et y vis deux packs d’un litre de jus d’orange. Cocasse.

Que n’ai-je encore décrit cette émotion qui m’a étreint à la découverte tardive et tant attendue, sur grand écran, de « Chungking Express » de Wong Kar Wai au Forum des images, cette entrée en scène de Tony Leung Chiu Wai, casquette de flic vissée sur la tête, au son du « California Dreamin’ » des Mamas & Papas, irruption splendide annonçant langueur et délicatesse. Quelques jours plus tard, à Deauville, je découvris un autre film du maître Hongkongais qu’il me manquait, « As Tears Go By », ne laissant plus qu’un film dans la filmographie de Wong Kar Wai que je n’ai jamais eu le plaisir de voir sur grand écran (« Les anges déchus »).

Que n’ai-je non plus clamé mon agacement envers ces spectateurs du Printemps du Cinéma qui désiraient peut-être voir « Le Monde Fantastique d’Oz » ou « Jappeloup » et se sont retrouvés avec moi devant « A la Merveille », et ne se sont pas privés de manifester leur impatience et leur ennui devant le film de Terrence Malick, expérimental dans la forme, imparfait sans l’ombre d’un doute, mais terriblement séduisant. Je me félicite toujours de voir des spectateurs privilégier le grand écran et l’expérience collective plutôt que le petit écran, mais certains de mes congénères spectateurs font malheureusement preuve d’un égoïsme désolant et agaçant, se comportant justement comme s’ils étaient seuls dans leur salon. Et mon intransigeance personnelle est plus forte devant certains longs-métrages, dont ceux de Terrence Malick font invariablement partie. Le maniaque psychopathe au fond de moi a donc dû prendre sur lui pour ne pas faire un massacre ce jour-là.

Les semaines ont passé, j’ai vu des nanars (« Du plomb dans la tête »), de beaux films (« Elefante Blanco »), des déceptions (« 40 ans mode d’emploi »), j’ai pesté contre des spectateurs, j’ai martelé mes genoux au son du logo d’Universal et de 20th Century Fox, et j’ai regretté de ne pas le partager ici. J’ai vu « Cloud Atlas » et ses fulgurances cinématographiques incroyables, « Spring Breakers » et son clinquant vain, « Stories we tell » et son art de disséquer la narration. Je n’ai pas vu beaucoup de films français. J’ai croisé l’homme au chronomètre dans la grande salle du Normandie, quittant « Jack le chasseur de géant » alors que je m’apprêtais à y plonger. J’ai discuté avec Yoo Ji-Tae, le bad guy de Oldboy, au petit-déjeuner dans un palace de Deauville. J’ai entendu une femme dire « Quels salopards ces bonshommes » lorsque la lumière s’est rallumée dans une salle projetant Wadjda, en me demandant si elle parlait des saoudiens ou des hommes en général. Mes pérégrinations dans les salles obscures ont continué. Et promis, je vous raconterai les prochaines.
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