jeudi 31 mars 2011

La Cinémathèque Française aux couleurs d'Hong Sang Soo

Je me souviens du premier film d’Hong Sang Soo que j’ai vu. La femme est l’avenir de l’homme, en mai 2004. Je m’en souviens très bien parce que c’est au printemps 2004 que je suis tombé amoureux du cinéma coréen, et que ce film y a contribué. Je connaissais les films d’Hong Sang Soo de nom, mais jusqu’ici je ne m’étais jamais laissé tenter par aucun d’eux. Cependant dans l’excitation du moment pour le cinéma du Pays du Matin Calme, et dans l’effervescence du Festival de Cannes où le film était passé, j’ai goûté pour la première fois au cinéma d’Hong Sang Soo.

Je n’ai depuis raté aucun film du cinéaste. Conte de cinéma, Woman on the beach, Night and Day, Les femmes de mes amis, Ha Ha Ha. Je me suis déplacé en salles pour chacun d’eux. Hong Sang Soo est devenu une valeur incontournable du cinéma coréen en France, une valeur très prolifique qui plus est. Ses films ont beau ne pas rapporter grand-chose au box-office coréen, ils sortent sans exception dans les salles françaises, un fait dont peu de cinéastes asiatiques peuvent se targuer. On le sent d’ailleurs inspiré par le cinéma européen, et français en particulier, peut-être n’est-ce donc pas si étonnant que cela. Une chose est sûre ses films sont des portraits drôles, cruels et fascinants de la Corée du Sud actuelle, même si c’est toujours la même Corée qu’il semble nous montrer. Mais reproche-t-on à Woody Allen de faire du Woody Allen ? Oui, bon, en fait, on lui a souvent reproché, moi le premier, mais l’idée est bien qu’un grand cinéaste est capable de refaire toujours un peu le même film en le déclinant sous des formes diverses et variées.

Et si Hong Sang Soo n’est pas de ceux qui peuvent toucher à tous les genres, il est certainement un cinéaste qui a créé un univers récurrent qu’il aime à approfondir à chaque nouveau long-métrage, et que l’on aime explorer en tant que spectateur. C’est bien ce que la Cinémathèque m’a appris ces derniers jours. Que j’aime explorer le cinéma d’Hong Sang Soo. Car la Cinémathèque Française a eu cette année l’idée saugrenue, lumineuse, géniale et rare de consacrer une « intégrale » à un jeune cinéaste asiatique en activité, ce cher Hong Sang Soo, donc. Tous les films du cinéaste, du Jour où le cochon est tombé dans le puits à son récent Oki’s Movie.

Jusqu’ici, mon Hong Sang Soo préféré était l’exquis Ha Ha Ha, à peine sorti mais vu l’année dernière. Mais j’avais cinq films à voir à cette rétro, cinq films pour découvrir si le réalisateur coréen n’avait pas un autre film dans sa manche susceptible de m’enchanter encore plus que sa comédie provinciale. Son tout dernier film, bien sûr, l’inédit Oki’s Movie, qui avait été présenté à la Mostra de Venise 2010, mais aussi et surtout les long-métrages antérieurs à La femme est l’avenir de l’homme. Malgré ma bonne volonté, j’aurai raté La vierge mise à nue par ses prétendants pendant ces quelques jours à la Cinémathèque, mais ce contretemps ne m’a pas empêché de trouver, parmi les films d’Hong Sang Soo qu’il me restait à voir, une pépite cinématographique qui vient désormais titiller Ha Ha Ha à sa place de favori.

Ce film aurait pu être Le Pouvoir de la Province de Kangwon, un réjouissant double portrait, en deux temps, d’un garçon et d’une fille voyageant vers la même province à quelques jours d’intervalle. A plus d’un titre, celui-ci m’a rappelé Ha Ha Ha, par sa fraîcheur, son aplomb, son ton totalement décalé, et sa structure narrative qui m’aura plus séduit que la noirceur inattendue du Jour où le cochon est tombé dans le puits ou que la narration éclatée et déconcertante de Oki’s Movie.

Non, le film que je retiendrai plus que les autres de l’intégrale Hong Sang Soo à la Cinémathèque sera Turning Gate, une perle de film comme on n’en voit pas toutes les semaines au cinéma. On y retrouve cet univers reconnaissable entre tous chez Hong Song Soo. Ce double cinématographique, ici acteur pas franchement en réussite, entre deux rôles, qui va d’abord retrouver un vieil ami et piquer à celui-ci la fille sur laquelle il avait des vues. Puis il va prendre le train pour aller rendre visite à ses parents à Pusan, train dans lequel il va avoir un coup de foudre pour une jeune femme qui dit l’avoir vu dans des pièces de théâtre à Seoul et l’admirer. Notre héros descendra donc en même temps qu’elle et la courtisera assidûment, cette femme mariée, plutôt que de continuer sa route vers Pusan.

On retrouve bien l’atmosphère des films de Hong Sang Soo, ce voyage en province, ces questionnements professionnels, ces triangles amoureux. Et bien sûr tout ce qui tourne autour, des vérités envoyées sous le coup de l’alcool, des relations homme/femme maladroites et hilarantes... Mais peut-être plus que dans tout autre long-métrage de la filmographie du coréen, il y a une envie de beauté et de poésie inattendue qui parcourt le récit. Hong imprime une profondeur, un sens de la narration et de la mise en scène qui se révèlent étroitement liés. Rien n’est laissé au hasard, et malgré l’impression de familiarité, cette sensation que l’on est bien dans un film d’Hong Sang Soo et qu’il va nous emmener dans des endroits plus ou moins connus de l’âme humaine, il captive et surprend. Cette « porte tournante » qui donne son titre au film lui donne aussi un sens et une mélancolie incroyable. Après tous ces films vus du cinéaste, dans un cadre qu’il est parvenu, peut-être pas à codifier, le mot est trop fort, mais du moins à rendre familier, à le transformer en un terrain connu, il montre sa grandeur dans sa capacité à décliner ses thèmes de prédilection, ses obsessions, sous une forme malgré tout neuve et riche de sens. Je crois bien que c’est un grand film que j’ai vu là.

J’ai passé une semaine à jongler à la Cinémathèque afin de rattraper mes lacunes coréennes, accompagné à chaque séance de spectateurs joliment assidus. Si la salle Langlois n’était pas forcément pleine, la salle Franju affichait elle quasiment complet à chaque projection. J’ai testé les capacités de réaction des caissiers de la Cinémathèque à chaque séance, leur présentant le programme du Centre Culturel Coréen offrant un tarif réduit aux films, mais à chaque fois, le ou la caissière posté face à moi était surpris par l’existence de cette réduction et bataillait pour faire entrer un code adéquat dans la machine. Je les salue tous bien bas, car ils sont tous parvenus à m’obtenir ma réduction, et je pense que je peux dire « ma » réduction car je serais étonné d’apprendre que nous avons été nombreux à en bénéficier. A croire que je suis le seul à lire les petites lignes sur le programme trimestriel du Centre Culturel Coréen de Paris.

Je me demandais si je croiserais l’homme aux sacs plastiques à l’une des projections, le cinémaniaque apparaissant en général à chaque déplacement que je fais rue de Bercy. Mais non, pas d’homme aux sacs plastiques pour Hong Sang Soo. Peut-être n’est-il pas aussi assidu en cinéma coréen, ou peut-être les a-t-il en fait déjà tous vus, les Hong Sang Soo, et étrangement, je voterais plutôt pour cette option.

L'intégrale Hong Sang Soo vient de s'achever à la Cinémathèque Française, et ce que j'en retiendrai longtemps, c’est que j’y ai vu un grand film. Et c'est bien pour cela que je venais.

4 commentaires:

Pierre a dit…

olala c'est le seul Hong Sang Soo que j'ai vu et qu'est ce que je m'étais emmerder ^^, je te comprend pas là dessus ^^

David Tredler a dit…

Comment as-tu pu t'emmerder devant Turning Gate, Pierre ? Il faut que tu vois Ha Ha Ha et que tu me dises si tu te marres ou pas ^_^

Chris a dit…

Il m'arrive 2 fois par an de regretter de ne pas habiter Paris. On va dire que ça en fait une pour 2011.

David Tredler a dit…

C'est vrai que dans ces moments là, je suis encore plus heureux d'habiter Paris ^_^

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