dimanche 2 décembre 2012

Voir « Lawrence d’Arabie » et redécouvrir le cinéma


Je sens encore les tambours résonner en moi. Leur rythme cogne dans ma poitrine. Je vois le soleil percer à l’horizon et les yeux de Peter O’Toole d'un bleu si limpide illuminer ce visage ensablé. A l’heure où j’écris ces lignes, vingt-quatre heures se sont écoulées depuis la projection de « Lawrence d’Arabie » à la Cinémathèque Française dans le cadre de leur festival « Toute la mémoire du monde » parrainé par Martin Scorsese, et il ne s’est pas écoulé cinq minutes depuis sans que je pense au film de David Lean. Il est là et ne veut pas me quitter comme je ne veux pas le laisser s’enfuir. Je n’ai pas hâte qu’il devienne ce film que j’ai vu, je veux qu’il vive en moi le plus longtemps possible car je pressens que je ne suis pas près de le revoir.

Ce n’est pas un hasard si je n’avais jamais vu « Lawrence d’Arabie » jusqu’à ce soir de novembre. J’ai expressément attendu, je me suis refusé de regarder sur un écran de télé cette fresque épique de 3h40 pour laquelle le grand écran semble avoir été inventé. J’ai patiemment attendu que le film bénéficie d’une restauration  et qu’il soit ainsi projeté dans une salle de cinéma à ma portée. Aimer le cinéma va parfois bien au-delà de la seule envie de voir un film sous quelque forme que ce soit ici et maintenant. J’ai choisi la patience afin de poser mes yeux sur un film dans des conditions optimales, le luxe d’habiter la capitale de la cinéphilie me le permettant. « Il était une fois dans l’Ouest » m’avait conforté dans cette idée.

La patience a donc finalement été récompensée. Un jour j’ai ouvert le programme de la Cinémathèque, et parmi les films programmés dans leur festival du film restauré, j’ai lu « Lawrence d’Arabie, version restaurée pour les 50 ans, salle Henri Langlois, jeudi 29 novembre 2012, 20h30 ». Un sourire. Enfin. Je n’ai pas honte de mes lacunes. Il me reste tant de films à voir, des classiques que je préfère attendre de voir sur grand écran puisque l’on n’a pas vraiment vu un film tant qu’on ne l’a pas vu sur grand écran. Et cette semaine, j’ai enfin vu « Lawrence d’Arabie ». Omar Sharif était là pour nous présenter le film, avec joie, humour et classe et nous gratifiant au passage de quelques anecdotes sur le tournage de ce film qui a changé sa vie. Ont suivi une standing ovation, puis un message vidéo de Martin Scorsese pour nous parler de la restauration des films et du festival de la Cinémathèque qui lui a offert une carte blanche.

Puis la lumière s’est éteinte, et dans cette immense salle baignée d’obscurité, sur cet immense écran noir, les premières notes de tambours imaginées par Maurice Jarre ont résonné. Les murs et les fauteuils ont tremblé sous l’effet vibrant de ce thème musical entré dans l’Histoire. Le cinéma offre parfois des moments de grâce promis à rester gravés longtemps dans nos mémoires. C’est ce qui me pousse, le moteur, l’envie, cette éventualité incroyablement forte et magnifiquement rare où l’expérience cinématographique bouleverse. Pas le bouleversement de l’émotion qui se dégage d’une belle histoire. Non. C’est le bouleversement indicible qui transcende les mots, l’histoire, l’émotion. C’est cette sensation d’avoir assisté à un instant unique. Un instant de quatre heures certes mais un instant tout de même à l’échelle du temps qu’il restera en nous.

Je n’ai même pas trouvé « Lawrence d’Arabie » parfait, la faute à cet entracte inattendu qui m’a sorti du film et a coupé un peu de cet élan formidable qui me gagnait, mais ce que m’a fait ressentir la fresque de David Lean ne se limite pas à l’appréciation que je m’en suis faite. Découvrir « Lawrence d’Arabie » sur ce grand écran de la salle Langlois, ce fut ouvrir les yeux et s’ébahir. Ce fut poser les yeux sur un écran de cinéma comme si c’était la première fois, comme si je n’avais jamais vu de film avant. Ce fut un voyage à travers le désert, à travers le temps, à travers une vie, des vies.

Des grands films, il en existe des dizaines, peut-être des centaines. Certains n’ont même pas besoin d’une salle de cinéma pour afficher leur grandeur. Mais je ne suis pas en train de vous dire que j’ai vu un grand film. Pas seulement en tout cas. J’ai vécu une expérience incroyable. Cinématographique et humaine. Une expérience que jamais je n’aurais pu vivre, des sensations que jamais je n’aurais pu éprouver en me contentant de regarder « Lawrence d’Arabie » en DVD ou Blu-ray. Même le goût amer de cette précipitation forcée pour tenter en vain d’attraper le dernier métro, cette déception constatée chez d’autres spectateurs obligés de quitter le film prématurément pour aller attraper leur RER, même cela n’a pu altérer l’aventure et cette douce musique qui m’accompagne depuis. Je cherche les mots mais je ne les trouve pas.

Bien sûr j’aurais préféré que la Cinémathèque programme le film trente minutes plus tôt, j’aurais aimé laisser le film s’infuser en moi pendant le générique de fin puis le regard dans le vague, la tête ailleurs, laisser mon esprit s’égarer pendant que le métro m’aurait ramené chez moi. Au lieu de cela, j’ai couru pour rater mon métro, j’ai erré pour trouver un vélib’ et j’ai fini par attraper un taxi. Une heure et demi du matin un jour de semaine à marcher dans le froid parisien, à mille lieues de ce désert qui m’a transporté quatre heures durant. Je me suis rêvé Lawrence, Ali, Auda. Je me suis rêvé loin de ce bitume et de ce gris. Mais ce n’était pas vraiment un rêve. Pendant quatre heure ce soir-là, « Lawrence d’Arabie » m’a procuré ce que seule une salle de cinéma peut offrir. Un autre monde devenu la seule réalité à mes yeux, le temps d’un film. Un voyage éphémère mais dont l’écho résonnera longtemps en moi. « I’ve seen another world » disait Witt. Moi aussi je l’ai vu, cet autre monde.

5 commentaires:

Nyal a dit…


Mince, j'ai raté cette projection. Je n'ai pas vu non plus ce film (oui, vous pouvez me huer. Si c'était le seul :), j'attendais qu'il repasse sur grand écran. Si je reprends "il était une fois dans l'ouest", c'est le jour et la nuit entre le cinéma et chez soi. Complètement d'accord avec toi. D'ailleurs, le cinéma mk2 hautefeuille repassait "il était une fois dans l'ouest" en 35mm. Ils font des matinées avec de très grands films à voir. J'apprécie vraiment Paris pour cela.
Aller, il va être temps d'aller voir "Ascenseur pour l'échafaud" ;)

David Tredler a dit…

C'était LA projection à ne pas rater, si j'ose dire ;) Je n'ai pas de raison de te huer, puisqu'il y a encore 3 jours je ne l'avais pas vu non plus, et je comprends tout à fait ta motivation d'attendre. Dommage que tu aies raté cette projection quand même.

dasola a dit…

Bonsoir David, je suis assez vieille pour avoir eu l'occasion de voir le film sur grand écran dans les années 80, au temps du Kinopanorama dans le 15ème arrdt (j'habitais à une station de métro). C'était fabuleux ce grand écran incurvé avec les dromadaires qui rentrent à gauche de l'écran et qui ressortent à droite. J'ai rendu hommage à ce cinéma disparu car c'est là que j'ai vu Autant en emporte le vent, La route des Indes, Out of Africa, West Side Story et tant d'autre. Cela m'a donné l'amour du cinéma. Bonne soirée.

Flow a dit…

Et bien...
J'ai recu le film en blu-ray mais je ne parviens pas à arriver au bout du film... J'ai vu une heure dix environ. Je reconnais que c'est bien mais je n'ai pas du tout envie de continuer...
Mais pourquoi est-il si long ??? :o

David Tredler a dit…

Aaaah, Dasola, le Kinopanorama ! Je ne l'ai connu que trop rapidement dans mes toutes jeunes années. Si tu y as vu ces grands films, cela a dû être des moments de cinéma extraordinaires.

Flow, j'ai attendu des années avant de voir Lawrence d'Arabie justement pour ne pas me trouver dans ton cas. Si un jour tu as l'occasion de le voir sur grand écran, vas-y, tu verras, cela change tout.

over-blog.com