jeudi 24 novembre 2011

"L'ordre et la morale" fait le vide

En début d’année, lorsque je citais les onze films que j’attendais le plus pour 2011 au cinéma, L’ordre et la morale de Mathieu Kassovitz en faisait partie. C’était une évidence. Parce que je n’aimais plus le cinéaste que le français était devenu. Je n’aimais plus ses films depuis trop longtemps. Parce que je l’avais au contraire tant aimé, et que je l’aimais encore tant chaque fois que je tombais sur La Haine ou Métisse. Oui, paradoxalement, L’ordre et la morale était sur les tablettes de mon impatience parce que je croyais ne plus pouvoir ou devoir attendre grand-chose de Kassovitz réalisateur, englué dans les souvenirs de Gothika et Babylon AD.

Sur le papier, L’ordre et la morale semblait pouvoir être un retour au Kassovitz que j’admire, celui des années 90. Un cinéma français fort et engagé. Je croyais que les cinéphiles étaient nombreux à attendre le retour de Kassovitz à ce cinéma promis par L’ordre et la morale. Les premiers chiffres parus la semaine dernière m’ont fait retomber du nuage sur lequel m’avait propulsé la sortie du film. En fait nous ne sommes pas tant que ça à nous réjouir de la sortie du film. Pas tant que ça à être excités de curiosité au point de se précipiter vers une salle de cinéma pour le découvrir.

Mon attente était trop grande cette semaine, je ne pouvais pas laisser le weekend filer sans avoir vu L’ordre et la morale. Et j’ai donc pu constater de mes yeux ce que les chiffres du premier jour laissaient entendre : les spectateurs français sont peu nombreux à être intéressés par le nouveau film de Kassovitz. Un samedi en début d’après-midi dans une grande salle de 300 fauteuils au moins, nous ne devions pas être plus de 30 ou 40 curieux. Les chiffres de la semaine sont tombés, et le film atteint tout juste les 100.000 spectateurs en sept jours dans plus de 300 salles. La désaffection ou le désintérêt du public est flagrant, et désolant.

Le sort du film de Kassovitz sera une de ces injustices dont le cinéma et sa roulette géante ont le secret. On ne pourra pas dire que le sujet, la prise d’otage de gendarmes en Nouvelle-Calédonie à la veille des élections présidentielles de 1988, n’était pas porteur. On ne pourra pas dire que le marketing aura été mauvais, quand on jette un œil à l’affiche ou à la bande-annonce. On ne pourra pas non plus dire que le film a débarqué avec une mauvaise réputation. Le bouche-à-oreille était excellent, et les critiques porteuses. Les ingrédients étaient là, ils n’ont pas pris, et j’ai du mal à croire que les 200 ou 300.000 spectateurs de plus que le film aurait dû attirer en première semaine étaient tous occupés à regarder Intouchables.

Tant pis. Les spectateurs français choisissent délibérément de passer à côté d’un des films français majeurs de l’année, un film de conviction et de doutes, une bourrasque cinématographique à la mise en scène implacable et au discours écœuré par l’héritage du colonialisme, par les méandres politiques, par l’écrasement de l’humain au profit du pouvoir. Pourvu que Kassovitz sache que ceux qui ont vu son film l’ont aimé et attendent d’autres longs-métrages de cet acabit à l’avenir. Les autres s’en mordront les doigts un jour ou l’autre. Et si vous lisez ces lignes et que vous n’avez pas encore vu L’ordre et la morale, mais que faites-vous donc encore devant votre ordinateur ? Attrapez votre veste, une bonne écharpe pour le froid, et foncez au ciné !

23 commentaires:

Phil Siné a dit…

ah, ça me fait bien plaisir ce que tu dis du film... mais son échec en salles beaucoup moins ! en même temps, le public français clame à la fois son ignorance et son désintérêt totale pour le cinéma en allant voir des choses comme "intouchables"... c'est désolant !

David Tredler a dit…

Je ne jugerai pas "Intouchables" puisque je ne l'ai toujours pas vu (!!!), mais pour ce qui est de L'ordre et la morale, je sais qu'on partage la même (grande)estime pour le film Phil ^_^

Martin K a dit…

Je ne peux pas non plus comparer "Intouchables" et "L'ordre et la morale", vu que j'ai vu le premier et pas (encore ?) le second.

Je ne suis pas sûr que Kasso ait choisi la bonne thématique pour revenir. Ou alors disons que je pense que ce n'était pas spécialement le bon moment pour revenir avec un film politique. Je crois que nous sommes tous un peu tendus par la campagne présidentielle qui commence et que, quand les gens vont au cinéma, ils attendent généralement du divertissement. Combien de gens appréciant de se payer une toile de temps en temps dans mon entourage me disent: "Tant qu'à dépenser une grosse vingtaine d'euros avec ma copine / mon copain, je préfère que ce soit pour m'amuser".

Je dis ça et en même temps, je vous donne raison, les gars. Le cinéma, ce n'est pas QUE des films comme "Intouchables", bien sûr. Cela dit, plus ça va, plus je me dis que c'est un luxe que d'aller au cinéma. Personnellement, je me l'autorise, à raison d'environ un film par semaine cette année. Mais je peux le faire et je me rends bien compte que pour d'autres, c'est un luxe ou alors une possibilité qui suppose d'en sacrifier une autre...

Pour en revenir à Kasso, je crois aussi qu'il paye son côté un peu condescendant. J'aime bien la manière dont il filme, ça va sans dire qu'il a du talent, mais je l'ai souvent surpris en flagrand délit de manque d'humilité. Un reproche que je ne ferai pas à "Intouchables", par exemple.

Bon, voilà. La prochaine étape ciné en ce qui me concerne, ce sera plutôt pour "Les neiges du Kilimandjaro".

J'ai assez parlé, non ? :D

David Tredler a dit…

Et pourtant Martin, le cinéma ne s'est jamais mieux porté depuis des décennies. C'est tout le paradoxe d'une telle époque, et du cinéma. Les français vont de plus en plus au cinéma.
Pour ce qui est du Kasso, si maintenant les cinéastes doivent faire des films en fonction de l'état d'humeur des spectateurs, le cinéma va à coup sûr s'appauvrir. J'espère bien que cela n'arrivera pas, et je suis bien content que Kassovitz soit revenu avec un film politique !

Martin K a dit…

Je n'ai pas dit que les réalisateurs doivent faire des films selon l'état d'humeur des spectateurs. Je suis bien d'accord avec toi pour dire aussi que ce serait néfaste au cinéma. Simplement, je pense que le succès d'un film - sa réception, donc, par le public - peut aussi dépendre, à mon avis, de ce fameux état d'humeur.

Rien de plus :)

David Tredler a dit…

A l'évidence cela joue énormément, même si le succès de "Polisse" montre qu'il y a aussi de la place pour des films moins heureux ;)

Nyal a dit…

L'ordre et la morale est un bon film qui souffre d'un parti pris "grossier". Cela est sûrement dû à l'adaptation du livre du capitaine du GIGN qui ne montre qu'un seul côté du miroir. Au final, il dépeint les preneurs d'otages quasiment comme des saints, les militaires comme des gens sans cervelles ("Réfléchir, c'est déjà désobéir) et les politiques comme des enfoirés. Ce manichéisme me gène toujours. Et cela nuit au film et à son message car on n'y croit peu.
Après les révoltés de l'île du diable (je conseille), c'est au tour d'un film d'animation belge (Le tableau). Il y'a énormément de films en ce moment.

David Tredler a dit…

Il y a certains films pour lesquels je trouve qu'appuyer son propos, quitte à trop verser dans le manichéisme, est nécessaire pour faire passer un message. Je comprends tout à fait ce qui a pu te gêner Nyal, mais je pense aussi que le film est moins manichéen qu'on veut bien le croire. Le face-à-face entre Legorjus et le militaire qui lui explique ce qu'est être un bon soldat donne un nouveau visage à ce militaire qui semblait vraiment être une caricature, alors qu'avec ce simple dialogue, Kasso l'affine magnifiquement.

Nyal a dit…

Tu viens de citer la scène que j'ai apprécié le plus. Mais une scène de ce type aurait pu arrivé plus tôt dans le film.
Sinon j'ai été voir 'Le tableau' et je ne comprends pas son exposition réduite. C'est un très beau film. Michel Ocelot a des successeurs ;)

David Tredler a dit…

Je pense que cela a son importance que la scène arrive tard, pour justement tordre le cou à l'image que l'on se fait des militaires. Comme une fausse route expressément exprimée pour nous montrer qu'il ne faut justement pas se laisser berner par le manichéisme.
Ca m'étonnerait que j'aie le temps de voir "Le Tableau" malheureusement...

Nyal a dit…

C'est bien dommage car 'Le tableau' mérite d'être visionné. Au contraire d'un "In time" indigent. J'adore "gattaca" et "Lord of war" mais "In time" est vraiment raté. Quand je pense au tapage médiatique pour ce film alors qu'il y'a des vrais films de cinéma qui ont zéro exposition, ça m'insupporte.

David Tredler a dit…

On est d'accord sur "In Time" Nyal, grosse déception de la part de Niccol...

Aurore a dit…

Moi qui ait la carte UGC, je n'ai pas eu a faire un choix entre ce film ou un autre. CMais la bande annonce ne m'a pas attirée du tout ... J'avais envisagé d'aller le voir, mais avait peur des longeurs. Résultat, je crois que j'ai loupé un film riche d'enseignement ///

David Tredler a dit…

Ah bah justement moi la bande-annonce de "L'ordre et la morale" figure certainement dans mon Top 5 des meilleures de l'année... Dommage que tu aies raté le film !

Roberto a dit…

Pas vu ce film et pas envie de le voir. Complètement manichéen et de parti-pris. De quoi faire le bonheur des caldoches et des tenants de l'Ordre. Etre "de gauche", être anticolonialiste, être humaniste ce n'est pas déformer, caricaturer la réalité pour servir une cause. Kasso a rendu, par sa partialité, par la trahison de la réalité de nombre de faits, par les mensonges éhontés du film, un fier service aux ennemis du peuple Kanak. Quelle tristesse !

David Tredler a dit…

J'ai du mal à comprendre Roberto, tu passes d'un "Pas vu" à un dézinguage en règle de ce que le film peut dire, l'as-tu donc vu finalement ? De quels mensonges éhontés s'agit-il, quels sont ces services rendus aux ennmis du peuple kanak ? Je suis curieux de savoir comment tu peux avancer de la sorte en n'ayant pas vu le film ?

Roberto a dit…

Evidemment cela paraît un peu facile de critiquer un film sans l’avoir vu. Je n’oserai par exemple, me prononcer sur «Intouchables», que je n’ai pas vu non plus. Mais s’agissant de L’Ordre et la Morale, Mathieu Kassovitz s’est suffisamment répandu dans les médias pour nous expliquer le bien fondé de son film et son caractère historique, presque mémoriel. Or ayant des parents et amis (encore retrouvés à l’occasion de Noël) qui vivent à Nouméa j’ai pu mesurer la liberté que Kasso a pris avec les faits et le travestissement auquel il se livre pour «servir» (croit-il) la cause Kanake (ou Canaque). Mes amis (enseignants, chercheur, infirmière et un militaire –qui a bien connu Legorjus-) ne sont ni de dangereux droitiers agités du bocal ni des suppôts de la bande à Lafleur.
Nous sommes en pleine période de revisitation de l’Histoire. Rien ne compte qu’être dans le Korrect politique: le parallèle fait par les turcs entre le génocide arménien et les exactions, voire les massacres de l’armée française contre les peuples d’Afrique du Nord passe comme une lettre à la poste dans une certaine «gauche» qui se délecte de tout ce qui, même relevant d’un mensonge et d’une abomination éhontés, lui paraît servir la cause anticolonialiste. Je n’aime pas la mauvaise foi, surtout quand elle vient de personnes dotées d’un minimum de culture et de possibilités de s’informer. Le film de Kasso a peut être des qualités cinématographiques, il est sûrement bien joué. Mais il sert une probable bonne cause avec une interprétation tendancieuse de faits d'Histoire quand il ne travestit pas ces faits eux-mêmes.
Désolé donc, de ne pas être au diapason…

David Tredler a dit…

Ne sois pas désolé Roberto, puisque tu es dans l'impossibilité d'être au diapason, n'ayant pas vu le film.
Je regrette juste que tu ne juges pas nécessaire de t'informer du regard de Kassovitz de la plus évidente des manières qui soit, en allant voir le film. Tu restes tellement flou dans tes invectives envers le film qu'il est difficile d'y répondre quoi que ce soit. Ne l'ayant pas vu, je comprends que tu restes dans le vague, et ne sachant ce que tu lui reproches clairement, je ne peux non plus le défendre. Quand l'un de ces facteurs sera différent, je serai ravi d'en discuter plus longuement !

Roberto a dit…

A l'évidence on ne peut argumenter (contre le film) en quelques lignes ici. Mes amis, en qui j'ai toute confiance (d'autant plus que, comme je le disais, ils sont plutôt de ma famille politique) m'ont simplement dit que l'essentiel des dénonciations de manipulation (que l'on trouve sur maints sites de presse et médias) était vrai. Les réactions à la présentation du film ont été très nombreuses, y compris sur les blogs comme ici:
http://www.justfocus.fr/cinema/critique-lordre-et-la-morale.html
Mais je n'attribue pas le cuisant échec de ce film à son esprit manichéen et à ses travers historiques. Cet échec est même quelque part inquiétant. N'y aurait-il plus de place que pour la gaudriole, les sentiments à deux balles et le mauvais polar ?

David Tredler a dit…

J'ai toujours du mal à comprendre ce que tu reproches exactement au film Roberto, ou à l'idée que tu t'en fais. Est-ce la dénionciation des luttes d'influence politiques ? Est-ce le fait de ne pas être à charge contre les rebelles kanaks ? Que trouves-tu de manichéen précisément ?
En tout cas même si nos avis divergent, je suis content que tu déplores l'échec du film, et le non-intérêt du public pour un sujet aussi fort. C'est désespérant en effet.

I.D. a dit…

Perso', j'ai toujours du mal avec ceux qui critiquent un film sans l'avoir vu. Je ne remets nullement en cause les connaissances de Roberto sur les faits qui ont donné naissance à cette œuvre de cinéma. Mais on est ici pour parler de l’œuvre même. Pas de ce fait divers à savoir si les faits sont vrais ou non. Chose qui peut être pas mal par extension à l’œuvre. Comme de comparer le film au livre existant. N'empêche en attendant c'est un peu vain de vomir un film non vu. On parle avant tout de cinéma ici.
Kasso' adopte et adapte une réalité parmi tant d'autres sur cette histoire. Une version. Un regard. Je n'ai pas le sentiment qu'il dit avoir la vérité absolue. Je ne me permettrais pas non plus de juger puisque je ne l'ai vu ce film et que je ne connais que trop peu l'histoire Kanake (ou Canaque) pour me le permettre. Très franchement, j'ai vraiment du mal à comprendre ta démarche Roberto.

> "A l'évidence on ne peut argumenter (contre le film) en quelques lignes ici"

Je pense que tu le peux et David adorerait mais attendant, tu n'en as rien vu donc c'est compliqué d'en parler en mal (ou non)...

Roberto a dit…

Oui, mais comment juger vraiment une œuvre (cinématographique) in abstracto ? Le cinéma est un spectacle et vise, par son mode de distribution courant, le public le plus large et donc un public qui est souvent le moins au fait de la réalité de ce qui est raconté dès lors que l’histoire portée à l’écran est lointaine géographiquement ou temporellement. Peut-on «honnêtement» travestir des faits ou trouver avec eux des «arrangements» pour servir une cause aussi bonne soit-elle ? Le parti-pris grossier qu'évoque Nyal dans son comm n'est pas, à mon avis, une bonne arme.

«Indigènes» de Rachid Bouchareb, l’évocation des massacres de Sétif commis par l’armée française en 1945, ont-t-il besoin des mensonges de Djamel Debbouze (les troupes coloniales africaines qui avaient payé de leur sang la Victoire et qui n’auraient pas été invitées à défiler à la Libération ce qui est faux, elles ont bien été mises à l’honneur sur les Champs Elysées et notamment le 8 mai 1945.) ? Bref je n’adhère pas du tout à l’adage selon lequel il vaut mieux avoir tort avec Sartre que raison avec Aron…

Pour revenir au bide du film de Kasso et à l’incroyable succès d’Intouchables (2 à trois séances par jour dans ma petite ville et c’est plein tous les jours depuis 7 semaines, le «boycott» idiot de certaines salles telles certains Utopia ne faisant qu’amplifier le phénomène), me voici plongé dans un océan de perplexité…Sur ce bye-bye, je ne suis pas très accros des blogs, fussent-ils intéressants et enrichissants comme celui-ci . R.

David Tredler a dit…

La vérité peut malheureusement avoir plusieurs visages selon les points de vue, l'Histoire est pleine de ce genre de conflits sur la véritable objectivité d'un fait, et à l'évidence l'affaire en question en est un clair exemple.
Le rapport du cinéma à l'Histoire est faite de subjectivité, et il me paraît essentiel qu'un cinéaste, en s'emparant d'un sujet, y appose un regard et une voix qui lui soit propre, tout en s'approchant autant que faire se peut de la vérité historique. Mais chacun ayant son mot à dire sur la vérité, elle n'est jamais pleinement satisfaisante.
Roberto, tu trouves manifestement à redire sur la façon dont les faits sont évoqués, j'espère que tu finiras quand même par voir le film pour t'en faire ta propre idée et non te satisfaire de ce que tes amis t'en ont dit, aussi proche sois-tu de leurs sensibilités.
POur ma part je considère "L'ordre et la morale" comme un des grands films de 2011, et je suis intimement convaincu que malgré tes protestations, le film reprend un grand nombre de vérités humaines et politiques ;)

Et à un de ces jours si tu repasses par là.

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